JOSE SARAMAGO
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Caïn

"Quand le seigneur, connu aussi sous le nom de dieu, s'aperçut qu'adam et ève, parfaits en tout ce qui se présentait à la vue, ne pouvaient faire sortir un seul mot de leur bouche ni émettre ne fût-ce qu'un simple son primitif, il dut sûrement s'irriter contre lui-même puisqu'il n'y avait personne d'autre dans le jardin d'éden qu'il pût rendre responsable de cette gravissime erreur, alors que tous les autres animaux, produits, comme les deux humains, du que cela soit divin, bénéficiaient déjà d'une voix qui leur était propre, les uns au moyen de mugissements et de rugissements, les autres de grognements, de gazouillements, de sifflements et de gloussements. Dans un accès de colère, surprenant chez quelqu'un qui eût pu tout résoudre avec un autre geste rapide, il se précipita sur le couple et, l'un après l'autre, sans réfléchir, sans demi-mesure, il leur fourra une langue au fond du gosier."


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Les intermittences de la mort

"Le lendemain, personne ne mourut, Ce fait, totalement contraire aux règles de la vie, causa dans les esprits un trouble considérable, à tous égards justifié, il suffira de rappeler que dans les quarante volumes de l'histoire universelle il n'est fait mention nulle part d'un pareil phénomène, pas même d'un cas unique à titre d'échantillon, qu'un jour entier se passe, avec chacune de ses généreuses vingt-quatre heures, diurnes et nocturnes, matutinales et vespérales, sans que ne se produise un décès dû à une maladie, à une chute mortelle, à un suicide mené à bonne fin, rien de rien, ce qui s'appelle rien. "


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L'autre comme moi

"L'homme qui vient d'entrer dans le magasin pour louer une cassette vidéo porte sur sa carte d'identité un nom peu commun, Tertuliano Maximo Afonso, rien que cela, nom à la saveur classique, rancie par le temps. Selon l'humeur du moment, il arrive encore à supporter Maximo et Afonso, d'un usage plus courant, mais le Tertuliano lui pèse comme une pierre tombale depuis le jour où il a compris que ce nom malencontreux pouvait être prononcé avec une ironie offensante."


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La lucidité

"Quel temps de chien pour aller voter, se lamenta le président du bureau de vote numéro quatorze après avoir refermé avec violence son parapluie ruisselant et ôté une gabardine qui ne lui avait pas servi à grand-chose pendant la course hors d'haleine de quarante mètres depuis l'endroit où il avait laissé sa voiture jusqu'à la porte par laquelle il venait d'entrer, le cœur battant à se rompre. J'espère ne pas être le dernier, dit-il au secrétaire qui l'attendait, légèrement en retrait, à l'abri des bourrasques de pluie soufflées par le vent qui inondaient le sol. Il manque encore votre suppléant, mais nous sommes dans les temps, le rassura le secrétaire, Avec ce déluge, ça sera une vraie prouesse si toute l'équipe est présente, déclara le président en pénétrant dans le bureau de vote."


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L'aveuglement

"La femme du médecin se leva et alla à la fenêtre. Elle regarda en contrebas la rue jonchée d'ordures, les gens qui criaient et chantaient. Puis elle leva la tête vers le ciel et le vit entièrement blanc, Mon tour est arrivé, pensa-t-elle. La peur soudaine lui fit baisser les yeux. La ville était encore là."


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La Lucarne

"Entre les voiles oscillants qui peuplaient son sommeil, Silvestre commença à entendre des entrechoquements de vaisselle et il aurait presque juré que des clartés s'insinuaient à travers les grandes mailles des rideaux. Sur le point de se fâcher, il s'aperçut soudain qu'il était en train de se réveiller. Il cligna plusieurs fois des paupières, bâilla et demeura immobile, sentant le sommeil s'éloigner lentement. D'un mouvement rapide, il s'assit dans le lit. Faisant craquer bruyamment les articulations de ses bras, il s'étira. Sous le vêtement, les muscles de son dos roulèrent et tressaillirent. Il avait un torse puissant, des bras épais et durs, des omoplates revêtues de muscles entrelacés. Il avait besoin de ces muscles pour son métier de cordonnier."


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Le Voyage de l'éléphant

Pour incongru que cela puisse sembler à qui ne serait pas conscient de l'importance des alcôves, qu'elles soient sacralisées, laïques ou illégitimes, pour le bon fonctionnement des administrations publiques, le premier pas de l'extraordinaire voyage d'un éléphant vers l'autriche que nous nous proposons de relater eut lieu dans les appartements royaux de la cour portugaise, plus ou moins à l'heure d'aller au lit. Précisons d'ores et déjà que l'emploi de ces vocables imprécis, plus ou moins, n'est pas l'œuvre d'un simple hasard. Nous nous dispensons ainsi, avec une élégance digne d'être mise en exergue, d'entrer dans des détails de nature physique et physiologique quelque peu sordides et presque toujours ridicules, qui, jetés pêle-mêle sur le papier, offenseraient le catholicisme très strict de dom joâo trois, roi de portugal et des algarve, et de dona catarina d'autriche, son épouse et future grand-mère de ce dom sebastiâo qui ira combattre à ksar el-kébir et y mourra au premier assaut, ou au second, encore qu'il ne manque pas de gens pour affirmer qu'il décéda de maladie à la veille de la bataille.


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Pérégrinations portugaises

"Le bonheur, que le lecteur le sache, a d'innombrables visages. Voyager est probablement l'un d'eux. Qu'il confie ses fleurs à qui saura s'en occuper et qu'il se mette en route. Aucun voyage n'est définitif."


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Tous les noms

Le conservateur se leva, Je laisse ici la clé, je n'ai pas l'intention de m'en servir à nouveau, et il ajouta, sans laisser à monsieur José le temps de parler, Il reste une dernière question à résoudre, Laquelle, monsieur, Dans le dossier de votre femme inconnue, il manque le certificat de décès, Je n'ai pas réussi à le trouver, il doit être resté là-bas, au fond des archives, ou alors je l'ai laissé tomber en chemin, Tant que vous ne l'aurez pas retrouvé, cette femme sera morte, Elle sera morte même si je le retrouve, Sauf si vous le détruisez, répondit le conservateur.